Le président Porochenko a fait arrêter un ministre et a poussé un puissant oligarque à démissionner de son poste de gouverneur. Une lutte anticorruption qui risque de déstabiliser encore un peu plus le pays.
Un puissant oligarque mis à l’écart mercredi par le président ukrainien, et un ministre et son adjoint arrêtés le même jour en pleine session du gouvernement: les autorités ukrainiennes ne ménagent pas leurs efforts pour montrer à leurs concitoyens qu’ils sont décidés à agir contre la corruption. Nécessaire, car c’est une des raisons pour lesquelles la jeunesse de Kiev s’était soulevée l’an dernier sur le Maidan contre l’ex-président, le prorusse Viktor Ianoukovitch, cette politique n’est cependant pas sans dangers. Car elle remet en cause les fragiles équilibres dans l’est du pays.
Mercredi, Igor Kolomoïski, la troisième fortune d’Ukraine, gouverneur depuis juin de sa région de Dnipropetrovsk (une des plus grandes villes de l’est russophone ukrainien), a été limogé de son poste par le président Porochenko. La coupe était pleine. Pour maintenir sa mainmise sur l’argent du pétrole, Kolomoïski avait envoyé, le week-end dernier, ses hommes de main faire un raid sur Ukrnafta, une entreprise d’extraction d’hydrocarbures, dont il est l’actionnaire minoritaire avec 43% des parts (contre 51% pour l’Etat). Une opération dans la plus belle tradition des années 90: avec des hommes armés, cagoulés et en treillis. En fait, le magnat russe contrôlait depuis des années la société à son seul profit, empêchant toute réunion du directoire de l’entreprise car la loi avait placé le quorum nécessaire à une réunion de la direction à 61% des actionnaires. Des députés issus de la révolte du Maidan ont réussi à convaincre la majorité au pouvoir qu’il était temps de changer cette législation afin que l’Etat joue son rôle. Et, la semaine dernière, le quorum a été fixé à 51% des parts, privant ainsi Kolomoïski de ses leviers.
En envoyant ses hommes faire un raid à Ukrnafta, apparemment des membres des bataillons de volontaires qu’il a financé pour la guerre avec les prorusses, le milliardaire, proche du Premier ministre Arseny Iatseniouk (mais apparemment pas assez), a fait le geste de trop. Défié, le président Porochenko a exigé qu’ils quittent l’entreprise. Dans la foulée, Kolomoïski a annoncé sa démission et Porochenko son limogeage.
Mercredi matin, une scène extraordinaire s’est produite devant les caméras, en pleine réunion du Conseil des ministres. Une demi-douzaine de policiers sont entrés et ont filé jusqu’à la petite table occupée par Sergueï Botchkovski, le directeur des service d’Etat pour les situations d’urgence, et Vassiliï Stoïetskiï, son premier adjoint. Ils ont signifié aux deux hommes leur mise en accusation pour corruption, puis les ont menotté et les ont fait sortir de la salle, le premier avec ses documents sous le bras. Ils auraient truqué des marchés publics de fourniture d’essence à leru service, prélevant leur 15% de commission. Un peu plus tard, le Premier ministre a annoncé qu’il avait demandé au procureur général d’ouvrir une enquête contre l’inspecteur général des finances, limogé lui aussi pour corruption. Des opérations très bien accueillies au sein de la coalition gouvernementale, qui rassemble les partisans du président Porochenko (lui-même un oligarque), ceux du Premier ministre Iatseniouk (plus nationalistes), et ceux de petits partis issus de la révolte du Maidan, qui espèrent un changement de fonctionnement d’un système politique longtemps dominé par les oligarques.
La coalition gouvernementale est sauvée, mais d’autres risques subsistent. En mars 2014, quand les prorusses sont passés à l’offensive dans l’est de l’Ukraine, Kiev, pratiquement sans armes et sans armée, a dû prendre une série de mesures pour s’opposer aux manifestations de séparatisme dans les régions russophones. Il a ainsi nommé comme gouverneur de la région de Donetsk Serguiï Tarouta, 58 ans, chef de l’Union industrielle du Donbass dont la fortune est estimée à 600 millions de dollars par le magazine Forbes. Plus influent mais plus prudent, Rinat Akhmetov, première fortune du pays, avait refusé ce poste. Tarouta est désormais à Marioupol (dernière grande ville de la région de Donetsk encore sous contrôle ukrainien) et Akhmetov à Kiev. Fondateur de Privatbank, Igor Kolomoïski devenait lui gouverneur de Dnipropetrovsk. Il s’empressait alors de mettre ses ressources au service de l’Etat, créant le fameux bataillon Dnipro-1. Un de ses proches, Igor Palitsa, ancien directeur d’Ukrnafta, 83e fortune du pays, devenait lui gouverneur de la région d’Odessa.
Le gouvernement estimait que l’atout des oligarques était qu’ils assuraient un emploi à des centaines de milliers d’habitants, qu’ils avaient des liens avec les élites régionales et les forces de l’ordre, et souvent leurs propres compagnies de sécurité, susceptibles de contrer par la force les séparatistes. En fait, ils ont renforcé les baronnies qui existaient déjà. Portés aux nues (souvent par leurs propres chaînes de télévision) comme des héros de la défense de l’Ukraine, ces hommes ont commencé à se croire tout-puissants. Reste à savoir s’ils iront jusqu’à se retourner contre le gouvernement et à utiliser les milices d’autodéfense qu’ils ont créées et équipées avant de les envoyer sur le front comme des gardes prétoriennes. Il semble que mardi, déjà, les milices du gouverneur Palitsa qui patrouillaient à Odessa avec les forces de l’ordre, étaient devenues invisibles dans les rues de la ville.«Dnipropetrovsk doit rester un bastion de l’Ukraine à l’Est, et protéger la paix», a dit le président Porochenko après avoir accepté la démission de Kolomoïski et signé un décret le limogeant. Les prochains jours seront décisifs.
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