Depuis quelques semaines, dans les pays d'Europe centrale, le mot est de retour. Dans les esprits, dans les conversations. «Yalta!» C'est là, en 1945, dans cette station balnéaire située en Crimée sur les rives de la mer Noire, que Russes et Américains se partagèrent le monde.
C'est là que les zones d'influence de Moscou et de Washington furent dessinées, et avec elle la division de l'Europe en deux blocs.
À Varsovie, à Vilnius, à Tallinn, dans les pays qui se trouvèrent jusqu'en 1989 derrière le Rideau de fer, la peur d'un nouveau Yalta est aujourd'hui perceptible. Et pour cause. Le ton inhabituellement amical du nouveau président américain à l'égard du Kremlin fait craindre à ces pays qu'un accord ne soit passé dans leur dos. C'est particulièrement vrai dans les pays Baltes, où l'annexion de la Crimée a été ressentie comme un sinistre prélude à une nouvelle politique d'expansion de Moscou.
L'Otan «obsolète» selon Trump
Cette peur est-elle fondée ? Pour l'instant, oui. Certes, Donald Trump et Vladimir Poutine pourraient se heurter plus vite qu'on ne le dit. Mais les propos déstabilisants du président américain sur l'Otandonnent la sensation que le parapluie s'est soudain rétréci. L'impression que l'article 5 du Traité Atlantique, qui impose aux États membres d'intervenir militairement en cas d'agression d'un des leurs, n'est plus un outil totalement fiable, et donc dissuasif. Le sentiment que Washington est disposée à mettre fin aux sanctions contre Moscou, décidée après l'annexion de la Crimée.
Est-ce vraiment l'objectif des États-Unis ? Trump veut que les pays européens paient leur dû, et c'est normal. Mais qu'entend-il par «obsolète», lorsqu'il qualifie ainsi l'Otan ? S'agit-il simplement de moderniser l'organisation face aux nouveaux défis, notamment en matière de cyber-sécurité ? Ou de sa raison même d'exister ? On n'en sait rien, et c'est cette incertitude qui est déstabilisante. Car, en face, la stratégie de Poutine, elle, n'a pas changé.
L'Union européenne prise dans un étau
Il renforce ses liens avec certains partenaires, comme la Hongrie, où il était hier en visite chez son grand ami Viktor Orban. Ce Premier ministre hongrois opposé aux sanctions contre Moscou, opposé à tout effort collectif en matière d'accueil de réfugiés. Disposé à faire financer par Poutine ses installations nucléaires, à faire fermer des journaux, à museler les juges, et à siéger sereinement au Conseil européen.
L'Union européenne se retrouve ainsi prise en étau. D'un côté, Trump multiplie paroles et gestes de mépris, au point de songer à nommer un ambassadeur auprès de l'UE qui avoue, tranquillement, vouloir saboter l'Europe. De l'autre, Poutine finance les extrêmes droites européennes (dont le FN), déploie ses hackers, ses médias, ses espions pour miner l'UE, à la base.
La liberté n'est pas dans l'agenda de Poutine
À l'époque de la guerre froide, l'objectif était clair. L'Otan visait à « contenir » l'URSS. Les deux blocs étaient plus ou moins étanches. Aujourd'hui, contenir la Russie est plus difficile, puisqu'elle retourne les instruments et les slogans libéraux contre les pays libres eux-mêmes. Or, la liberté n'est pas dans l'agenda de Poutine. Ni dans celui de Trump. Ils exaltent la liberté des peuples, pour mieux masquer leurs atteintes à la liberté des individus.
C'est donc aux Européens de la prendre en charge, cette liberté, de la préserver. C'est le grand enjeu, trop peu discuté, de la présidentielle française. Une élection que beaucoup d'Européens scrutent pourtant attentivement, dans l'attente d'un signal clair contre toute tentation autoritaire.
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