Le plus souvent, les partisans d'une position occidentale plus molle envers la Russie tentent de déplacer le débat...
Au cours des derniers mois, plusieurs hommes politiques et chefs d'entreprise européens ont appelé de leurs vœux une levée partielle voire totale des sanctions économiques de l'UE contre Moscou. Le plus souvent, ces individus font l'impasse sur les conditions que le Kremlin aurait à remplir pour bénéficier d'une telle relaxe.
Ces souhaits contredisent la position du Conseil européen, représentant le point de vue unanime des gouvernements des 28 États Membres de l'UE, qui lie la durée des sanctions économiques "à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk". Ceci impliquerait un retrait complet des forces militaires Russes, présentes illégalement dans la région du Donbass. La plupart de ceux qui critiquent les sanctions ne mentionnent même pas l'annexion par Moscou de la Crimée, ou son occupation, de facto, de la région de Transnistrie en Moldavie, ou des régions d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud en Géorgie. Sans une mise en œuvre complète des accords de Minsk, toute levée des sanctions économiques serait un acte d'apaisement injustifié.
Le plus souvent, les partisans d'une position occidentale plus molle envers la Russie tentent de déplacer le débat, l'éloignant des considérations de droit international, de sécurité européenne et d'unité occidentale, et l'amenant vers des calculs d'intérêts commerciaux.
Quels dégâts les sanctions ont-elles toutefois vraiment causé à l'économie européenne? Quelle est l'importance du marché russe pour le commerce extérieur de l'UE aujourd'hui? Et quelle serait la pertinence du marché russe dans un avenir hypothétique dans lequel les sanctions seraient effectivement levées?
Au cours des trois dernières années, les relations économiques UE-Russie ont subi une forte baisse. Selon les statistiques officielles d'Eurostat sur la balance des paiements, les exportations de marchandises de l'UE vers la Russie ont atteint leur maximum en 2012, avec 122,1 milliards d'euros, et se sont élevées à seulement 73,1 milliards d'euros en 2015 (-40%). Les exportations de services vers la Russie ont atteint leur maximum en 2013 avec 30,3 milliards d'euros, pour ensuite tomber à 24,4 milliards d'euros en 2015 (-19%). Les flux entrants de revenus d'investissements, de la Russie vers l'UE, sont passés de 26,7 à 19,1 milliards d'euros entre 2013 et 2015 (-28%).
Ces chiffres pourraient suggérer de graves effets sur l'économie de l'UE des sanctions occidentales envers la Russie, et des "contre-sanctions" de la Russie envers l'UE. Mais ce n'est pas le cas. Alors que certains secteurs et certaines entreprises ont naturellement souffert plus que d'autres, l'économie de l'UE dans son ensemble a clairement dépassé ces difficultés. Le total (mondial) des exportations de biens de l'UE est passé de 1692 à 1785 milliards d'euros entre 2013 et 2015. Sur la même période, les exportations de services ont augmenté de 700 à 811 milliards d'euros, et les flux entrants de revenus d'investissements de 541 à 580 milliards euros.
Deuxièmement, les sanctions ne sont pas la cause principale de la chute du commerce bilatéral avec la Russie. La majeure partie de la baisse a été entraînée par une récession de l'économie Russe et par une forte dépréciation de sa monnaie nationale, et ces deux événements ont principalement été causés par la forte chute du prix du pétrole qui s'est enclenchée fin 2014.
En 2015, le poids de la Russie pour l'UE, en termes de pourcentage du total mondial, et à l'exclusion des flux internes à l'UE, a été de 4,1 pour cent pour les exportations de biens, 3,0 pour cent pour les exportations de services, et de 3,3 pour cent pour les revenus d'investissement. A titre de comparaison, la part des États-Unis dans les revenus de l'UE était, en 2015, de 21,3 pour cent pour les exportations de biens, 26,1 pour cent pour les exportations de services, et 28,5 pour cent pour les revenus d'investissement.
Sur la base des projections macroéconomiques du World Economic Outlook d'Avril 2016 du Fonds Monétaire International, nous estimons que les flux commerciaux entre l'UE et la Russie pourraient demeurer inferieurs à leurs maxima des années 2012-2013 jusqu'en 2020, voire au-delà, même en cas d'une levée complète des sanctions. Ceci serait dû à une reprise lente et seulement partielle de la valeur du rouble (elle-même liée à une reprise limitée du prix du pétrole). En conséquence, et malgré une croissance de l'économie Russe en roubles à prix constants, le PIB de la Russie en euros à prix courants pourrait rester en-dessous de son niveau de 2013. Or c'est bien la taille du marché en euros, et non en monnaie nationale, qui détermine, au final, l'attrait d'un marché étranger pour les entreprises Européennes.
Nos estimations sont naturellement sujettes à caution. Entre autres facteurs, le prix du pétrole pourrait récupérer plus fortement que ne le suppose le FMI. Nous tirons néanmoins les quatre conclusions suivantes.
Tout d' abord, le marché russe était d'une importance limitée pour l'UE, même à son apogée en 2013. Deuxièmement, cette part déjà faible de la Russie dans le commerce extérieur de l'UE a encore été réduite par l'effet combiné de l'effondrement du prix du pétrole et des sanctions occidentales. Troisièmement, les volumes d'échange de 2013 ne seront vraisemblablement pas atteints en 2020, même si les sanctions étaient levées. Quatrièmement, l'importance relative du marché Russe restera, pour de nombreuses années, inférieure à ce qu'elle était avant 2014.
Les politiciens et les chefs d'entreprise occidentaux doivent prendre note de ces réalités. La taille de la Russie et son rôle de premier plan dans la diplomatie internationale ne doivent pas induire en erreur les décideurs occidentaux et les conduire à voir des opportunités là où il n'y en a pas, du moins dans un avenir proche. A supposer qu'une éventuelle levée des sanctions soit discutée, celle-ci doit donc suivre une logique politique et axée sur la sécurité, plutôt que sur des considérations commerciales dont l'importance économique réelle est modeste.
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