Tuesday, December 4, 2018

L’agression russe en mer d’Azov. Pourquoi l’Europe est concernée?

Anna Jaillard


Pour la première fois la Russie reconnaît et assume l'agression contre son voisin sans se cacher.


Après l'agression militaire russe du 25 novembre dernier contre des navires ukrainiens dans le détroit de Kertch, les réactions de la communauté internationale restent plus que timides. Fatiguée de cette guerre hybride et interminable où la Russie ne semble faire un moindre effort, l'Europe choisi la tactique de l'autruche et appelle les deux parties du « conflit » à trouver un apaisement.

Pourtant, l'heure est grave. Pour la première fois la Russie reconnaît et assume l'agression contre son voisin sans se cacher. « Selon la législation en vigueur, les navires ukrainiens ont de plein droit le libre passage par le détroit de Kertch», - note l'Ambassade de l'Ukraine en France. Malgré les tentatives des Ukrainiens de prévenir par précaution les autorités de facto du port de Kertch, l'armée russe a donné un ordre officiel d'ouvrir le feu sur les navires ukrainiens. Le résultat – 23 militaires ukrainiens capturés, six blessés dont deux grièvement et 3 navires ukrainiens capturés par la Russie.
L'affaire semble alors très simple : les actes de la Russie en mer d'Azov constituent une violation flagrante de la Charte des Nations Unies et de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. D'où vient alors ce manque de réaction internationale à la hauteur de l'événement ? Les faits ne semblent inquiéter ni la France, ni l'Allemagne qui se sont exprimés contre les sanctions supplémentaires à l'égard de Moscou, alors que les deux pays se sont engagés au seins de la configuration diplomatique « Format Normandie » afin de résoudre le conflit russo-ukrainien.
D'après la journaliste et l'experte en questions russo-ukrainiennes Galia Ackerman, personne et compris l'Ukraine ne comprend l'importance de ces récents événements qu'elle considère pouvant être le début d'une opération plus importante, puisqu'en faisant cette preuve de force la Russie a signifié qu'elle contrôlait la mer d'Azov et le détroit de Kertch et qu'elle compte rester le seul maître de la situation. Sans parler du fait que ce sont des précédents très dangereux, donc il serait erroné de dire qu'il s'agit d'une affaire intérieure que la Russie et l'Ukraine doivent régler entre eux. Galia Ackerman observe également que beaucoup d'experts, y compris en Ukraine refusent de penser que c'était une action délibérée, ordonnée par Poutine, en pensant que Russes n'oseront pas aller aussi loin.
« La Russie a une politique punitive vis-à-vis de l'Ukraine, - note l'experte. - L'annexion de la Crimée et l'aide très active à l'occupation du Donbass, était une punition pour le Maïdan. Mais maintenant il y a quelque chose de plus important que Maïdan, c'est l'octroi prochain de Tomos : l'indépendance de l'église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou. C'est une baffe énorme pour les Russes, beaucoup plus que Maïdan ne l'était. Parce que les résultats de Maïdan peuvent être réversibles avec les élections d'un candidat plus pro-russe à la présidence. Alors que Tomos est une perte plus importante d'un levier spirituel et de l'image, car l'orthodoxie russe se croyait en tête du monde orthodoxe. D'ailleurs, on parle déjà des gens du Spetsnaz russe en habits monastique qui sont présents en Ukraine dans les monastères se trouvant sous la coupe du patriarcat de Moscou. Si cela est avéré, alors après l'octroi prochain du Tomos ils pourront se joindre aux provocations organisées par l'extrême droite ukrainienne qui est très infiltrée comme on le sait. Donc la Russie aura un prétexte légitime d'agir pour défendre l'orthodoxie. C'est pour cela que ce qui se passe actuellement en Ukraine peut être des prémisses d'un projet plus important ».
Jusqu'où dans ce cas-là pourra aller Vladimir Poutine ? La réponse semble évidente : jusque là où on l'autorisera à aller. « Lorsque vous dites cela, on vous rétorque tout de suite que c'est exagéré, car bien sûr, les Russes ne l'oseront jamais, -remarque Galia Ackerman. - Je pense que c'est complétement irresponsable, car les Russes ont déjà osé d'annexer la Crimée et de soutenir depuis bientôt 5 ans les bandits du Donbass. Alors comment peut-on penser qu'ils vont nécessairement s'autolimiter par ce qu'ils ont déjà acquis. Si le pire arrive, la population de l'Ukraine ne va tolérer cette situation, c'est-à-dire qu'il y aura une guerre à la frontière de l'Union européenne ».
L'experte reste persuadée que ce qui est important pour l'Europe, c'est d'avoir un pays amical à ses frontières. L'Ukraine reste un Etat pro-européen qui aspire, même si on ne lui donne pas pour l'instant la satisfaction, à faire partie de l'Europe. En revanche, si l'Ukraine repasse sous la coupe russe, il y aura un ennemi aux frontières de l'Union européenne ce qui changera complément la donne, avec toutes les conséquences d'un conflit qui se déroule à notre porte.
Il ne faut pas oublier que l'agression russe dans la mer d'Azov pourrait également être importante dans l'affaire de Nord Stream 2. Ce crime perpétué contre l'Ukraine pourrait avoir des conséquences considérables pour le Pipeline de Nord Stream qui passera à travers les eaux territoriales de Danemark et de l'Allemagne, longeant les zones économiques exclusives (EEZ) de Finlande, Suède, Danemark et d'Allemagne. Donc si nous prenons en compte le caractère extrêmement insolent de l'attaque récente, nous pourront également considérer que la Russie pourra utiliser la protection de la Pipeline de Nord Stream 2 comme une excuse pour augmenter sa présence dans les eaux territoriales de ces pays. A ce jour, les forces russes, que ce soit l'armée régulière, les compagnies militaires privées ou des unités de sécurité de Gazprom, pourraient rentrer dans la zone de 12 miles, comme dans le cas de l'Ukraine sans avoir de réponses directes pour ne pas augmenter la tentions. C'est ainsi qu'un conflit qu'on croyait gelé en Ukraine, pourrait mettre le feu aux poudres à la bonne vieille Europe qui croit naïvement au bon sens du régime du Kremlin.

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